Agusti Villaronga, il sort d'où, celui-là ? Moi qui croyait connaître plutôt bien le cinéma espagnol, voilà que je fais cette précieuse découverte. Car, indéniablement, nous voici en présence d'un cinéaste talentueux et exigeant. Quelqu'un qui écrit son film et qui sait montrer ce qu'il a à dire.
Et il sait ce qu'il veut. Dans Tras el Cristal, ce qui frappe d'emblée c'est ce parti pris visuel, cette photo bleutée rongée par l'obscurité. Comme si l'image se faisait envahir par la nuit. Le message envoyé au spectateur est clair : vous allez entrer dans un puits de noirceur. Que les âmes sensibles fassent demi-tour. Ici, l'obscurité ira même, par moments, jusqu'à abolir la notion d'espace, afin que le regard du spectateur ne puisse être distrait par l'extérieur. Pour qu'il puisse se poser pleinement sur les personnages.
Sans tourner autour du pot, Villaronga nous présente immédiatement toute l'horreur qui habite dans le coeur de Klaus, ancien médecin nazi, qui, pendant la guerre, s'est découvert un goût pour la torture de jeunes enfants. Puis, tout aussi abruptement, entrera en scène Angelo, comme une créature de cauchemar. Tout le film reposera sur ce tandem de monstres, liés l'un à l'autre par un abominable secret.
Klaus ( signalons que l'acteur Gunther Meisner a vraiment la gueule de l'emploi ) ne supportant plus le fardeau de ses crimes ignobles, essaiera de se suicider. Mais au lieu de trouver le soulagement procuré par la mort, il va se retrouver coincé à l'intérieur d'une machine infernale, "un poumon d'acier" auquel il doit être en permanence relié pour rester en vie ( et le bruit de cette respiration artificielle donne réellement un côté démoniaque au personnage). La Mort viendra sous une forme différente, sous les traits du drôle d'infirmier qu'est Angelo. Le plaisir qu'éprouve Klaus dans ses crimes ( il avouera sa fascination pour le péché et pour l'horreur) disparaîtra lorsqu'il sera en perte de contrôle. Cloué à l'intérieur de sa machine, simple témoin, la chose l'attire soudainement beaucoup moins quand elle est perpétrée par quelqu'un d'autre.
La femme de Klaus, Griselda ( interprétée par une des muses de Almodovar, Marisa Paredes) se sent coincée dans cette maison où la vie, la joie, ont déserté, et où ne règnent que maladie et tristesse. Malgré ses mauvaises pensées ( mauvaises mais fort excusables compte tenu de son désir de vivre et de sa frustration de ne pouvoir le faire pleinement) Griselda est une innocente colombe, prisonnière de cette maison/cage, véritable nid à ténèbres. Malgré cette apparence de femme forte que lui confère Marisa Paredes, Griselda n'a pas idée à quel point sa situation est périlleuse, coincée qu'elle est entre deux monstres. Outre les noires pensées qui assaillent son esprit, elle est effrayée par Angelo mais aussi troublée, attirée physiquement par lui. Parce qu'elle est la seule à vouloir s'échapper de ce tombeau qu'est la maison familiale, parce qu'elle veut vivre, Griselda est le personnage le plus sympathique du film. Vous me direz, c'est pas bien difficile.
Pour compléter le tableau, parlons également de Rena ( Gisela Echevarria), la fille, d'une douzaine d'années, de Klaus et Griselda. Ce personnage pourrait être l'incarnation de l'innocence même, mais... en fait non ! La caméra s'attarde sur Rena et sa façon de regarder Angelo annonce déjà que la gamine est en proie aux pensées troubles. Elle est déjà attirée par l'ange de mort qu'est Angelo. Fille naturelle d'un monstre et "adoptée" par un autre, Rena, derrière son apparence angélique, est vouée à recevoir cet héritage immonde et à assurer sa continuité. La jeune actrice qui l'incarne a un visage dont l'expressivité permet de restituer très bien cette dualité, cette lutte entre l'ange et le démon qu'elle a en elle.
Enfin n'oublions pas de parler de la grande maison familiale, véritable personnage à part entière, puisque c'est là que se déroule toute l'histoire. Filmée avec grand soin, la demeure est un monde clos, qui ne laisse presque rien venir de l'extérieur.
En plein milieu, le film se paie le luxe d'une scène d'une intensité telle qu'elle représente un climax avant l'heure. Et l'on se demande vers où le film va aller après ça. Mais on ne s'inquiète pas un instant là dessus : Tras el Cristal peut se le permettre. La folie d'Angelo est un monde vaste à explorer. Qu'est-ce qui l'a rendu ainsi ? On a envie de savoir ce qui lui est arrivé. Quels sont ses motivations et son but ? Son prénom même nous dit qu'il a été un ange autrefois mais que quelque chose d'atroce a détruit sa vie et son innocence. L'acteur (David Sust) est littéralement habité par le rôle. Son visage impassible, glacé par la souffrance, et son regard d'enfant traumatisé, font merveille.
Si l'attrait qu'exerce Klaus sur Angelo fait penser à un autre film- en l'occurence Un élève doué de Bryan Singer, adaptation d'un Stephen King - les deux personnages de jeunes hommes attirés par ces figures du mal absolu que sont les nazis, n'agissent pas de la même manière. Dans le film de Singer, "l'élève" est d'abord fasciné par le "maître", avant de prendre plaisir à contrôler et à dépasser ce "maître". Dans Tras el Cristal, le personnage d'Angelo cherche plutôt à reproduire les crimes de Klaus, à devenir comme lui. Plus qu'un guide, Klaus est, pour Angelo, la porte d'entrée vers le Mal et le témoin parfait. Le jeune homme n'a pas besoin qu'on lui montre la voie, il sait où il veut aller dans sa folie.
Conclusion de tout cela : le Mal s'auto-alimente.
Le film parle de la fascination que l'horreur peut inspirer à l'esprit humain. Sans être un pur film d'horreur, c'est une oeuvre éprouvante, très dure psychologiquement, qui a la capacité de nous immerger patiemment et pleinement dans l'action et de produire des scènes qui résonnent en nous et provoquent une peur viscérale. En ce sens, le film d'Agusti Villaronga en remontre à pas mal de films d'horreur plus classiques. Son côté méticuleux, sec, détaillé et patient implique le spectateur à 100% et le font entrer au sein même du cauchemar.
Mais Tras el Cristal est aussi une réflexion sur le plaisir sadique qui consiste à souiller, faire souffrir et détruire ce qui nous paraît fragile, beau et innocent. Ce qui est totalement sans défense et à la merci du plus fort. Le plaisir qu'éprouve le damné à faire le choix du mal et à le perpétrer en toute impunité. Il y a là aussi l'idée que l'oppression subie par les plus faibles, leur état de martyr, soumis qu'ils sont à la cruauté, à la perversion et à la force brutale de ceux qui ont le pouvoir, est quelque chose qui se perpétue inlassablement. Comme un cycle infernal.
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