dimanche 28 janvier 2018

Joshua ( 2007) de George Ratliff

La famille Cairn ( des gens aisés qui vivent dans une luxueuse tour new yorkaise) est en joie à l'occasion de la naissance de leur petite Lily. Tout le monde n'a d'yeux que pour elle. Un peu à l'écart, le petit Joshua, 9 ans, joue du piano, un air assez sombre. Sa mère lui demande un peu sèchement d'arrêter de jouer ; sa musique semble la déranger. Le décor est planté. George Ratliff, réalisateur hélas peu sollicité par le cinéma ( notre homme bosse surtout pour des séries télé),  pose les bases de son film vite fait bien fait.
Faire reposer tout son film sur les épaules d'un gamin de neuf ans est un pari assez casse gueule mais ici on a pris soin de travailler le personnage et le jeune acteur Jacob Kogan l'incarne admirablement avec sa tête de futur banquier d'affaires, que dis-je, de futur Président de la République !
Joshua n'est pas qu'un enfant délaissé, loin de là. Ici ce qui est montré est autant, voire plus significatif que ce qui est dit. Lorsque toute la famille se décide à chanter, d'un air béat, une berceuse à la petite Lily, Joshua vomit. La niaiserie l'indispose apparemment, et comme je le comprend !
Enfant extrêmement intelligent, cultivé et donc ( forcément) solitaire, Joshua semble être conscient de bien trop de choses sur ce qui se passe autour de lui; il se considère lui-même comme un être bizarre. Pas encore dompté par l'éducation et surtout la bien pensance, Joshua n'hésite pas à dire à son père : "T'es pas forcé de m'aimer." Ce dernier ressent un malaise profond, proteste et lui dit que bien sûr qu'il l'aime, mais Joshua en sait trop déjà sur la vie et sur le théâtre qui fait tourner le monde des hommes. 

Le père Cairn, une sorte de trader, ne comprend rien à son fils. Avec son tempérament positif et dynamique, il n'a pas la sensibilité pour comprendre qui est vraiment Joshua. Le gouffre entre père et fils est immense. Par exemple, le père, en bon américain, pousse son fils à faire des activités sportives alors que le gamin n'en a visiblement rien à cirer et qu'il se pose pour ouvrir un livre à la première occasion venue. Mais il y a bien plus que cela.

Joshua semble prendre plaisir à se réfugier intérieurement  dans la musique, probablement parce que celle-ci est un langage riche, parfaitement adapté à son esprit déjà si affûté et complexe.

En tant que spectateur on est presque gêné pour les parents, tellement ils jouent mal la comédie envers leur fils : il les met mal à l'aise et ils ne sont pas sincères avec lui. Le couple Cairn, bien que sachant Joshua intelligent, ne mesurent néanmoins pas à quel point ils sont en face d'une intelligence supérieure, qui les dépasse allègrement. Leur sens de l'observation n'est pas assez pointu ; ils n'en ont pas la capacité et sont, de toute façon,  trop enfermés en eux-mêmes, dans leur train-train quotidien et leur vision étriquée de l'existence.

Pourtant Joshua, bien qu'excellent manipulateur, joue ( c'est le cas de le dire) carte sur table avec eux. Au cours d'un spectacle genre où tous les parents viennent filmer fièrement les "prouesses artistiques" de leurs rejetons, Joshua décide de surprendre tout le monde en interprétant au piano une version très particulière de la berceuse chantée à Lily au début du film, en introduisant peu à peu des notes dissonantes dans la mélodie enfantine et en la faisant glisser lentement vers quelque chose de sombre et de torturé. L'effet est garanti. Les parents Cairn ont envie de se planquer sous les sièges. Pour une fois que maman Cairn avait la possibilité d'être fier de son fils, c'est raté... Ils ne réalisent pas que Joshua vient là de leur montrer le plus clairement possible l'état de son esprit : pas dérangé ( au contraire, très organisé) mais sombre et attiré par le Chaos.
Parlons également de la mère ( incarnée par la pas encore hyper connue et excellente actrice, Vera "Conjuring"Farmiga). Bourgeoise dépressive, abonnée aux psy telle un personnage de Woody Allen,  Abby Cairn a une santé mentale fragile. Elle a encore plus de mal que son mari à cacher le sentiment de rejet qu'elle a vis à vis de son fils. C'est sans surprise que l'on assiste à l'effondrement de la mère dès que les choses se gâtent un peu : femme-enfant trop gâtée par la vie, elle n'a pas les reins solides dès qu'on la sort de son petit cocon surprotégé.

Signalons également la présence de deux autres personnages secondaires mais qui ont leur importance. La grand-mère, très religieuse et prosélyte, qui cherchera à convertir Joshua. Et l'oncle, individu cultivé avec qui Joshua s'entend étonnamment bien.

Mais revenons au père. Quand il ouvrira les yeux - et il lui en faudra du temps pour ça !- sur la vraie nature de Joshua, toute la petite comédie entre eux volera soudainement en éclats. Mais Joshua est beaucoup trop malin pour lui. Indéniablement les meilleurs monstres, les plus dangereux, sont ceux qui ont de l'intellect et de la culture. Froid comme un Dexter en herbe, Joshua n'en utilise que mieux son cerveau. Les émotions, les bons sentiments, sont autant de choses qui rendent l'intelligence calculatrice moins performante.

Si l'on part du principe que les gens ont des enfants non pas seulement pour perpétuer l'espèce humaine mais aussi dans l'espoir que ces derniers soient meilleurs qu'eux, alors on peut dire que le couple Cairn a effectivement donné naissance à un être qui les surpasse totalement. Les deux petits pigeons blancs ont généré un superbe corbeau noir. Mystères liés à la naissance !


Précisons également que la monstruosité de Joshua est parfois compréhensible, dans le sens où il se sent rejeté par ses parents. Néanmoins il fait aussi preuve de temps en temps d'un goût pour la cruauté totalement gratuite. Bref on tient là une personnalité déjà très complexe. 

De même que les parents ( même s'ils le nient farouchement) finissent par juger leurs enfants, de même les enfants sont invariablement amenés à juger ( sévèrement souvent!) leurs parents. Dans le cas des Cairn, le jugement arrive beaucoup plus tôt que prévu car Joshua est un enfant précoce. Et il a un plan (monstrueux certes) mais qui n'est pas dénué de logique, avouons-le...









samedi 20 janvier 2018

Citadel ( 2012 ) de Ciaran Foy





Citadel est, à bien des égards, un film à part. Déjà ici, on a pas l'habitude de chroniquer des films aussi récents : 2012 c'est un record ! Sans parler du fait qu'il s'agit d'un film irlandais, cinéma plutôt rare et n'ayant pas pignon sur rue sur les principaux marchés en Europe. Ceux qui s'attendent à un film plein de rouquins en train de siffler des bières au beau milieu de paysages verdoyants risquent d'être surpris !

Ici la lumière est froide et l'image transpire la grisaille d'un quartier miné par la misère et la violence. Citadel ne convoque aucun monstre du bestiaire fantastique : la violence nichée dans le coeur des hommes ( ou plutôt des jeunes des cités, dans ce cas précis) suffit amplement à provoquer le sentiment d'horreur. Le film appartient à un style typiquement anglo-saxon : la hoodie horror, c'est à dire les films de délinquants ultra-violents à capuches dans la téci ! Un genre qui, forcément, comporte un commentaire social.

Il est à signaler que Citadel est le premier long métrage de son réalisateur, Ciaran Foy. Ce qui est remarquable, compte tenu de la maîtrise et de la très bonne tenue du film. Par des procédés très simples mais diablement efficaces Foy nous transmet tout ce qu'il nous faut savoir sur le contexte et les personnages de son film. Mais d'abord le pitch : Suite au meurtre de sa femme par un gang d’enfants cagoulés un jeune père de famille devient agoraphobe. Les agresseurs n'en restent pas là et cherchent à s’en prendre à son bébé. Aidé par une infirmière et un prêtre complètement borderline, il comprend que le seul moyen d’exorciser sa peur est d’y faire face est de s’introduire dans la Citadelle, c'est à dire la tour où réside le gang.

Pour nous montrer toute l'impuissance de Tommy ( le jeune papa donc) Foy nous le montre coincé dans un ascenseur en train d'assister à l'agression de sa femme. De même lorsqu'il introduit les fameux monstres à capuches, il nous les montre au début à travers un reflet de portière ou de vitre, comme pour accentuer leur côté furtif et donc anxiogène. Une fois qu'il nous est permis d'un peu mieux les apercevoir, cachés sous leurs capuches et voûtés, presque difformes, on pense aux enfants enragés du Chromosome 3 de David Cronenberg. Les mêmes mais à l'adolescence, quoi.

 
L'angoisse nait du fait qu'on a aucun mal à croire à l'existence d'un quartier horrible comme celui de Tommy. Hélas. Un endroit qui n'est pas bon pour élever un enfant, comme il le dira lui-même. Tout dans sa situation relève de la vulnérabilité et on ne cesse de s'inquiéter pour lui et sa môme. L'appartement (miteux) où il vit donne de plein-pied sur la rue et la porte d'entrée, aux parois de verre, semble être une bien fragile protection contre les agressions qui semblent capables de surgir de la rue à tout moment. Tommy, et nous avec, vivons dans la terreur de voir apparaître une silhouette menaçante à travers la porte de verre.
 
Une autre excellente idée du film est de nous présenter la peur comme étant quelque chose qui a une couleur et une odeur. La psychologue qui suit Tommy n'hésite pas à lui dire que tout dans sa posture, ses gestes, relève de la victime et attire les potentiels prédateurs comme des loups attirés par le sang. C'est la peur qu'éprouve la victime qui lance le prédateur à ses trousses.
 
Aneurin Barnard ( l'acteur qui incarne Tommy, une sorte d'Elijah Wood en plus grand) est très convaincant dans le rôle : avec ses cernes sous les yeux, lourdes comme des bouteilles de butane ( merci Francis !), son teint blafard, sa posture de traumatisé et la permanente tension dans son langage corporel, l'acteur semble avoir tout compris du personnage.
 
N'oublions pas de parler de deux autres personnages importants : l'infirmière ( Marie) et le prêtre. Marie ( jouée par Wunmi Mosaku, actrice jusque là inconnue pour moi mais qui apparemment a pas mal tourné dernièrement, notamment dans des blockbusters) croit naïvement que tous les délinquants n'ont besoin que de compassion, d'écoute, pour que le danger qu'ils représentent pour la société soit désamorcé. C'est un personnage animé d'excellentes intentions mais un peu trop angélique. Il n'est pas bon d'être aussi optimiste qu'elle l'est : ça en devient dangereux.
 
Quant au prêtre ( James Cosmo, le Jeor Mormont de Games of Thrones) il s'agit d'un personnage extrêmement marginal. Tout le monde le croit fou. Il se croit abandonné de Dieu. On parle là d'un prêtre adepte de l'autodéfense, s'exprimant avec un vocabulaire à ne pas mettre à portée d'oreille du premier enfant de choeur venu ! Contrairement à Marie, le prêtre ne croient pas que les encapuchonnés puissent être sauvés : il les voient comme des dégénérés, des démons qu'il faut détruire.





Ciaran Foy sait parfaitement mener son film jusqu'à son climax. Le black out électrique qui laisse le quartier dans le noir n'est rien d'autre que la plongée dans les ténèbres que s'apprête à faire Tommy.  Et, admettons-le bien volontiers, la cité en tant que coeur des ténèbres, en tant que repaire du Mal, est particulièrement crédible et flippante. Jusqu'au bout Citadel se montrera intéressant, par sa tension permanente et par l'évolution du personnage de Tommy notamment. Mais ce que le film a à dire par rapport aux problèmes qu'il soulève est aussi, pour le spectateur, à chercher du côté de Marie et du prêtre. Quelque part entre ces deux personnages doit se trouver la réponse la plus juste. Marie symbolise l'excès en bons sentiments, l'angélisme qui conduit sans le savoir à la politique de l'autruche. Le prêtre, lui ,incarne une solution beaucoup plus lucide mais extrême. Le film n'hésite pas à nous dire que cette ultra-violence est comme une maladie contagieuse. Quiconque reste en contact trop longtemps avec ce "virus" est condamné. Comme s'il arrivait un moment, un stade trop avancé dans le mal et la corruption, qui ne permettrait plus de faire demi-tour. Un moment où on ne pourrait plus être sauvé.




 
 

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Alors qu'il sont en pleine expédition au Népal, Ted Harrison et sa petite amie Marjorie, vont être sauvagement attaqués par un ...