Citadel est, à bien des égards, un film à part. Déjà ici, on a pas l'habitude de chroniquer des films aussi récents : 2012 c'est un record ! Sans parler du fait qu'il s'agit d'un film irlandais, cinéma plutôt rare et n'ayant pas pignon sur rue sur les principaux marchés en Europe. Ceux qui s'attendent à un film plein de rouquins en train de siffler des bières au beau milieu de paysages verdoyants risquent d'être surpris !
Ici la lumière est froide et l'image transpire la grisaille d'un quartier miné par la misère et la violence. Citadel ne convoque aucun monstre du bestiaire fantastique : la violence nichée dans le coeur des hommes ( ou plutôt des jeunes des cités, dans ce cas précis) suffit amplement à provoquer le sentiment d'horreur. Le film appartient à un style typiquement anglo-saxon : la hoodie horror, c'est à dire les films de délinquants ultra-violents à capuches dans la téci ! Un genre qui, forcément, comporte un commentaire social.
Il est à signaler que Citadel est le premier long métrage de son réalisateur, Ciaran Foy. Ce qui est remarquable, compte tenu de la maîtrise et de la très bonne tenue du film. Par des procédés très simples mais diablement efficaces Foy nous transmet tout ce qu'il nous faut savoir sur le contexte et les personnages de son film. Mais d'abord le pitch : Suite au meurtre de sa femme par un
gang d’enfants cagoulés un jeune père de famille devient agoraphobe. Les agresseurs n'en restent pas là et cherchent à
s’en prendre à son bébé. Aidé par une infirmière et un prêtre complètement borderline, il comprend que le seul moyen d’exorciser sa peur est
d’y faire face est de s’introduire dans la Citadelle, c'est à dire la tour où réside le gang.
Pour nous montrer toute l'impuissance de Tommy ( le jeune papa donc) Foy nous le montre coincé dans un ascenseur en train d'assister à l'agression de sa femme. De même lorsqu'il introduit les fameux monstres à capuches, il nous les montre au début à travers un reflet de portière ou de vitre, comme pour accentuer leur côté furtif et donc anxiogène. Une fois qu'il nous est permis d'un peu mieux les apercevoir, cachés sous leurs capuches et voûtés, presque difformes, on pense aux enfants enragés du Chromosome 3 de David Cronenberg. Les mêmes mais à l'adolescence, quoi.
L'angoisse nait du fait qu'on a aucun mal à croire à l'existence d'un quartier horrible comme celui de Tommy. Hélas. Un endroit qui n'est pas bon pour élever un enfant, comme il le dira lui-même. Tout dans sa situation relève de la vulnérabilité et on ne cesse de s'inquiéter pour lui et sa môme. L'appartement (miteux) où il vit donne de plein-pied sur la rue et la porte d'entrée, aux parois de verre, semble être une bien fragile protection contre les agressions qui semblent capables de surgir de la rue à tout moment. Tommy, et nous avec, vivons dans la terreur de voir apparaître une silhouette menaçante à travers la porte de verre.
Une autre excellente idée du film est de nous présenter la peur comme étant quelque chose qui a une couleur et une odeur. La psychologue qui suit Tommy n'hésite pas à lui dire que tout dans sa posture, ses gestes, relève de la victime et attire les potentiels prédateurs comme des loups attirés par le sang. C'est la peur qu'éprouve la victime qui lance le prédateur à ses trousses.
Aneurin Barnard ( l'acteur qui incarne Tommy, une sorte d'Elijah Wood en plus grand) est très convaincant dans le rôle : avec ses cernes sous les yeux, lourdes comme des bouteilles de butane ( merci Francis !), son teint blafard, sa posture de traumatisé et la permanente tension dans son langage corporel, l'acteur semble avoir tout compris du personnage.
N'oublions pas de parler de deux autres personnages importants : l'infirmière ( Marie) et le prêtre. Marie ( jouée par Wunmi Mosaku, actrice jusque là inconnue pour moi mais qui apparemment a pas mal tourné dernièrement, notamment dans des blockbusters) croit naïvement que tous les délinquants n'ont besoin que de compassion, d'écoute, pour que le danger qu'ils représentent pour la société soit désamorcé. C'est un personnage animé d'excellentes intentions mais un peu trop angélique. Il n'est pas bon d'être aussi optimiste qu'elle l'est : ça en devient dangereux.
Quant au prêtre ( James Cosmo, le Jeor Mormont de Games of Thrones) il s'agit d'un personnage extrêmement marginal. Tout le monde le croit fou. Il se croit abandonné de Dieu. On parle là d'un prêtre adepte de l'autodéfense, s'exprimant avec un vocabulaire à ne pas mettre à portée d'oreille du premier enfant de choeur venu ! Contrairement à Marie, le prêtre ne croient pas que les encapuchonnés puissent être sauvés : il les voient comme des dégénérés, des démons qu'il faut détruire.
Ciaran Foy sait parfaitement mener son film jusqu'à son climax. Le black out électrique qui laisse le quartier dans le noir n'est rien d'autre que la plongée dans les ténèbres que s'apprête à faire Tommy. Et, admettons-le bien volontiers, la cité en tant que coeur des ténèbres, en tant que repaire du Mal, est particulièrement crédible et flippante. Jusqu'au bout Citadel se montrera intéressant, par sa tension permanente et par l'évolution du personnage de Tommy notamment. Mais ce que le film a à dire par rapport aux problèmes qu'il soulève est aussi, pour le spectateur, à chercher du côté de Marie et du prêtre. Quelque part entre ces deux personnages doit se trouver la réponse la plus juste. Marie symbolise l'excès en bons sentiments, l'angélisme qui conduit sans le savoir à la politique de l'autruche. Le prêtre, lui ,incarne une solution beaucoup plus lucide mais extrême. Le film n'hésite pas à nous dire que cette ultra-violence est comme une maladie contagieuse. Quiconque reste en contact trop longtemps avec ce "virus" est condamné. Comme s'il arrivait un moment, un stade trop avancé dans le mal et la corruption, qui ne permettrait plus de faire demi-tour. Un moment où on ne pourrait plus être sauvé.
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