lundi 19 mars 2018

Frailty ( 2001 ) de Bill Paxton

Tandis que le Texas vit sous la terreur de "La Main de Dieu" - qui n'est autre qu'un sympathique tueur en série - Fenton Meiks, se présente au FBI et déclare connaître l'identité dudit serial killer. Il s'agirait de son frère, Adam, qui vient juste de se suicider. Alors qu'ils roulent en direction de l'endroit - poétiquement baptisé le Jardin des Roses - où les corps des supposées victimes d'Adam sont enterrées, Fenton ( Matthew Mc Conaughey ) raconte à l'agent Doyle ( Powers Boothe ) comment tout a commencé vingt ans plus tôt. Les frères Meiks vivaient alors une enfance heureuse avec leur veuf de père. Soudain, une nuit, leur vie bascule lorsque ce dernier leur annonce qu'un "ange" lui est apparu et qu'ils devront accomplir une "mission". Alors que Adam accepte sans réserve cette vision divine, Fenton pense que son père est devenu fou.

Whouu, pas facile à pitcher comme film !
 
Frailty ( ou Emprise en français) est le seul film réalisé par le regretté Bill Paxton, acteur qui a surtout joué les seconds couteaux dans une multitude de films et séries, parmi eux d'excellents blockbusters des années 80/90 ( pour n'en citer que quelques uns disons le Aliens de James Cameron, le Predator II de Stephen Hopkins ou le Near Dark de Katheryn Bigelow). 
 
Le moins que l'on puisse dire c'est que le film a été moyennement accueilli par la critique, étant accusé parfois de véhiculer une idéologie nauséabonde. Il se pourrait bien que cette volée de bois vert aie incité le pauvre Bill à ne plus tâter de la réalisation. Et c'est bien dommage ! Car Frailty, bien qu'étant loin d'être un film parfait, laissait présager pas mal de potentiel chez le Paxton réalisateur. Des gens qui s'y connaissent un peu en horreur ( Sam Raimi et Stephen King ! ) sont des fans assumés du film.
 
Le premier élément qui m'a énormément plu dans ce film c'est le côté "impossible à juger" du père Meiks ( joué par Bill Paxton himself). C'est un tueur persuadé de bien agir, d'obéir à Dieu. Il le fait en toute bonne conscience, dans le cadre de sa divine mission. Et le fait qu'il implique ses propres enfants dans ses meurtres, outre le fait que cela décuple l'effet terrifiant de l'histoire, montre bien que Papa Meiks est persuadé de faire le bien. Le sentiment de malaise qu'il provoque chez le spectateur est accentué par le fait que jusqu'alors, ce tranquille père de famille s'est révélé être un bon père, attentionné et aimant envers ses deux fils. Que s'est-il passé? D'où vient cette folie ? Qui lui dicte le nom de ses victimes, des gens qu'il ne connait pas ? Papa Meiks n'est en aucune façon un être maléfique. Bill Paxton excelle dans l'art de faire subsister chez son personnage un côté "innocent" malgré ses meurtres. C'est on ne peut plus troublant. Il tue terrorisé par ce qu'il croit déceler chez les personnes que lui désigne l'ange. D'ailleurs à aucun moment il ne dira "tuer des gens". Pour lui il s'agira toujours de "détruire des démons". On notera également que le film récupère une certaine vision guerrière des anges, un peu façon Ancien Testament, ce qui appuie l'idée que c'est bien un Dieu Vengeur qui s'est adressé au père Meiks. Alors pure folie meurtrière? Véritable visions divines ou démoniaques ? Comment savoir ?

Mais Frailty est également l'histoire d'un gamin tiraillé entre l'amour qu'il éprouve pour son père et sa prise de conscience de l'horreur de la mission de ce dernier. Fenton est aussi terriblement inquiet pour son petit frère Adam qui lui se laisse " contaminer" par la folie du pater. En ce sens, soulignons avec quelle habileté le film nous montre le passé heureux de la petite famille ( histoire qu'on s'attache à eux ) avant que tout dégénère. Bien joué !

Baignant dans une ambiance Amérique Profonde à la...Stephen King, le film instaure une atmosphère propice à la terreur pure. Le spectateur trouve tout de suite ses marques. Signalons l'apport non négligeable de la musique, bien sombre et majestueuse. Mais là où le film est fort c'est dans sa capacité à faire douter le public. Car on ne peut s'empêcher d'envisager la possibilité qu'effectivement le père "voit" quelque chose, qu'il a le pouvoir d'apercevoir quelque noir secret enfoui au plus profond de l'esprit des gens que l'ange lui désigne.

Il va falloir s'accrocher à des détails pour essayer de se faire sa petite idée, dans ce va et vient entre le présent et les flash back au moment des meurtres du père. Par exemple, Papa Meiks croit que son Dieu le rend invisible lorsqu'il tue. Ainsi, il lui serait possible d'assassiner quelqu'un au milieu d'une rue bondée de monde sans se faire voir. Or, il essaie quand même d'être le plus discret possible. Pourquoi, puisqu'il est si persuadé que Dieu le rend invisible ? Pas logique. Deuxième faille que je remarque, l'ange lui dit quelque chose qui ne lui plait pas à un moment donné, au sujet du manque de foi de Fenton. Le père décide alors de montrer que l'ange peut se tromper. Implicitement il admet que le messager divin peut se gourer quoi...
 
D'autres éléments viendront ajouter à notre confusion. Le fait qu'Adam se met à "voir" aussi les démons lorsque le père leur amène ses victimes. Le fait aussi que le père semblait un type formidable, tout à fait normal, avant l'apparition de l'ange. La folie peut-elle surgir aussi soudainement, du jour au lendemain ? Jamais le film ne condamne clairement le personnage. C'est osé, on va dire.
 
En somme, Frailty est un film impossible à interpréter de manière catégorique et définitive. Il est conçu dans l'optique de laisser un maximum d'ouvertures à l'interprétation du public. Tout dépendra de ce que le  spectateur est capable de croire. S'il est cartésien ou , au contraire, croit au surnaturel. S'il est athée ou religieux ( et là encore plusieurs possibilités. Car ici l'idée d'un Dieu Vengeur, de l'Ancien Testament, prévaut largement sur l'idée du Dieu miséricordieux du Nouveau Testament). En fonction de tout cela, la réaction de chacun devant le film sera différente. On peut lui trouver une idéologie insoutenable ou on peut juste être troublé par les doutes qu'il suscite en nous. Tout dépendra des indices qu'on aura récoltés tout au long du récit.
 
Avec son parti pris sur le fil du rasoir Emprise ne nous livre pas son message clef en main, il nous laisse décider.
 
Malgré un twist assez prévisible - qui étrangement ne gâche rien et qui contribue à sa manière à nous maintenir dans le vertige créé par l'histoire - Frailty tient bien la route jusqu'au bout. La mission des Meiks est indéniablement monstrueuse. Reste à savoir si, comme Fenton, on rejette la chose en bloc, ou si on se laisse troubler par le point de vue du père et d'Adam. 

Le film nous oblige à nous positionner, à réfléchir sur les concepts de culpabilité et de monstruosité. Où est la Vérité, le Bien et le Mal ? Comment réellement les distinguer? Il nous parle de l'influence de nos croyances, de notre volonté, sur ce que l'on croit voir. Il nous parle de l'importance des liens du sang. Il nous dit que peut être ( sûrement ) des choses échappent à notre raison.

Oui, Frailty a des défauts mais il provoque bel et bien un véritable tourbillon dans nos têtes.
 









Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Bad Moon ( 1996) de Eric Red

Alors qu'il sont en pleine expédition au Népal, Ted Harrison et sa petite amie Marjorie, vont être sauvagement attaqués par un ...